La tribune : En Rhône-Alpes, les filières courtes réinventent le métier paysan

Par Anne Bideault  | 
Le salon de l’Agriculture ouvre ses portes samedi à Paris. De plus en plus d’agriculteurs optent pour la vente directe. Magasins de producteurs, paniers paysans, vente en ligne : le consommateur dispose de l’embarras du choix pour manger « local ». Ces nouveaux modes de commercialisation conduisent les agriculteurs à diversifier leur offre de produits et à innover.

Le 52e salon de l’Agriculture sera l’occasion pour les producteurs de la région Rhône-Alpes de mettre en avant leurs produits. Soupe de courgette à l’indienne, yaourt à boire prune-cannelle, pâte à tartiner au miel et à la noisette, fromage de chèvre aux fleurs sauvages, pâtes à l’ail des ours, etc. Ce ne sont pas des denrées imaginées par des experts marketing de l’industrie agro-alimentaire.

Le fruit d’un double ras-le-bol

Tous ces produits ont un point commun : ils ont été conçus par des fermiers rhônalpins, avec le produit de leurs cultures ou de leurs élevages, dans leurs propres exploitations agricoles.

Depuis quelques années, nombreux sont les paysans qui ont débridé leur créativité pour proposer aux consommateurs davantage que les classiques terrine de campagne et tomme fermière, bottes de carottes ou cagettes de pommes.

Cette évolution est le fruit de deux ras-le-bol. D’un côté, celui des consommateurs, qui s’étonnent de se voir proposer des tomates de Hollande alors qu’il en pousse à côté de chez eux. Les mêmes rechignent davantage qu’au cours de la décennie précédente à glisser une barquette dans leur four à micro-ondes.

De l’autre, celui des agriculteurs lassés des négociations axées sur les seuls volume et prix que leur imposent les grossistes et la grande distribution.

Rhône-Alpes pionnière

Leurs mécontentements respectifs les ont rapprochés, redonnant du souffle à la vente directe. Les premiers contacts, d’abord militants, sous forme d’Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), ont fait tâche d’huile.

La région Rhône-Alpes, riche de bassins de consommation urbains, a été la pionnière de la commercialisation en circuit court (pas plus d’un intermédiaire entre producteur et consommateur). Elle garde aujourd’hui son rang de leader, avec près d’un tiers des exploitations qui vendent tout ou partie de leur production de cette façon-là, soit quelque 12 350 fermes concernées.

Si le marché, la vente à la ferme et la planche à tréteaux au bord de la route n’avaient jamais disparu du paysage, l’inventivité commerciale des agriculteurs et des consommateurs a multiplié les modes de vente : paniers sur abonnement, dépôt dans les entreprises, vente en ligne, magasins de producteurs, drive fermier, plateformes de vente à la restauration collective, etc.

Certains se risquent même sur le terrain des grandes surfaces, à l’instar de la SAS Saveurs du coin, qui rassemble 55 producteurs. Elle tient des espaces de vente dans deux hypermarchés Auchan, à Limonest et à Caluire (Rhône).

Pour Gilbert Chavas, agriculteur à Loire-sur-Rhône (Rhône) et président de cette structure, il s’agit « d’aller à la rencontre de consommateurs qui n’ont pas le temps de se rendre au marché de détail ou dans les points de vente collectifs périurbains.

Les clients sont servis par des vendeurs salariés de la SAS mais paient leurs achats lors de leur passage en caisse. Auchan ponctionne une marge allant de 15 à 40 % selon les produits, qui sont toujours vendus à un tarif respectant le « prix vital à la production », défini collégialement par les agriculteurs.

Labourer de nouvelles compétences

Mais se passer de grossiste, assurer soi-même la vente de ses produits, voire les transformer à la ferme, être en relation directe avec le consommateur, implique « un changement fondamental du métier », note Philippe Fleury, agronome et géographe qui dirige le département de recherche Agriculture, Systèmes Alimentaires et Territoires de l’Isara (Institut supérieur d’agriculture et d’agroalimentaire Rhône-Alpes).

« Cela oblige à acquérir de nouvelles compétences, de nouvelles façons de travailler, et même de vivre », juge-t-il.

Car outre l’élevage ou la culture, qui demeurent le cœur du métier, outre la gestion administrative de l’exploitation, il faut déployer des talents de communication, de concertation, se lancer dans la recherche et développement, coiffer la toque de cuisinier, maîtriser les normes sanitaires, assurer sa présence en ligne, élargir son offre, flirter avec le marketing, etc. Même si la profession est intrinsèquement multitâche, cela fait beaucoup.

Certains refusent d’envisager une telle mutation, poursuit Philippe Fleury, car c’est une trop grande remise en question.

Un drive fermier

D’autres au contraire s’y lancent par souci managérial. Ainsi Vincent Pestre, exploitant à Chevinay (Rhône), a ouvert en 2012 un « Drive fermier » pour donner de nouvelles perspectives à ses six employés permanents, au-delà des deux productions phares de l’exploitation : le cardon et la cerise.

L’année 2011, très bonne, m’a permis de prendre le risque de me lancer dans le circuit court, sans connaissance, puisque ni le commerce de détail ni le maraîchage ne sont mon métier.

S’appuyant sur l’expérience d’un de ses employés, il consacre 1,5 hectare de ses terres à un potager, visible depuis la route nationale qui longe l’exploitation. Les automobilistes peuvent se garer près de la roulotte qui sert de point de vente. Les plus organisés commandent en ligne sur le site au graphisme soigné et récupèrent leur panier en rentrant du travail.

Verdict : cette année, pour sa troisième saison, le drive représente déjà 20 % du chiffre d’affaires de la ferme, alors qu’il n’est ouvert que des premières aux dernières fraises (du 1er juin au 31 octobre environ).

 

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